FESTIVAL D'AVIGNON 2008
C'est la première fois que j'écris un article sur le Festival de Théâtre d'Avignon. En effet, après le cinéma, le théâtre est aussi un art auquel je m'intéresse beaucoup, mais je n'ai pas souvent le temps de décliner tous les spectacles que je vois, préférant favoriser la critique cinématographique...
Cependant, le festival d'Avignon, un des plus importants en Europe, bénéficie d'une atmosphère très particulière et ludique, totalement hors du temps et de la vie active. Cette ambiance déphasée, où chacun se promène mollement dans les rues pavées, entre salles de spectacles, bars et restaurants, est également favorisée par le climat lourd et fatiguant d'une chaleur dévastatrice. La présence envahissante de la climatisation dans les salles est pour beaucoup dans le déclenchement des grippes du public...Outre ce petit problème climatique, ce festival d'Avignon, premier arpenté pour ma part, offre un "crû" (comme disent les gens du Sud) particulièrement intéressant cette année (comme disent les critiques du Masque et la Plume), autant dans le In que dans le Off. Voici donc une petite rétrospective de mes coups de coeur du festival.
Hamlet
Thomas Ostermeier

Autant dire que je commençais cette édition très fort, avec la représentation dans l'impressionnante Cour d'Honneur de l'adaptation germanique du shakespearien Hamlet, spectacle du In et à l'image du lieu dans lequel il se jouait. Quel choc, cet Hamlet riche d'émotions, véritable leçon de mise en scène et d'interprétation. Thomas Ostermeier a su trouver le juste équilibre en proposant une version volontiers trash et provocante, portée par un Hamlet survolté et obsédé, tout en gardant la puissance du texte et la noirceur du récit. Tandis que le ridicule des fêtes et enterrements sont décrits avec un comique gestuelle rappelant Karl Valentin (notamment la scène d'ouverture, époustouflante - et sans oublier les références à la politique française...), la présence de la mort et de la folie planent à travers les personnages et le procédé visuel utilisé (personnages filmés en gros plan par Hamlet et projetés sur grand écran), permettant de s'immiscer au plus près des personnages et de leur folie, prévoyant leur déchéance proche. Quant à la langue, elle n'est en rien hachurée par l'accent allemand, bien au contraire. La truculence de la prononciation et son aggressivité apportent rage et haine aux propos d'Hamlet. L'interprète de celui-ci porte admirablement la pièce, d'abord sobre au tout début, mais se transformant rapidement en une véritable bête de scène enragée, n'hésitant pas à détruire le décor, se rouler dans la terre, se travestir ou chanter le rap... Néanmoins, le comédien, par cette rage déjantée, confère de l'énergie à la pièce (pendant 2 heures 30) et aux répliques. Les autres comédiens restent également à la hauteur, notamment l'interprète de la mère d'Hamlet/Ophélie, en charge des deux uniques rôles féminins, merveilleusement vampirique ou innocente.
De plus, le soir où j'assistais à cette pièce magistrale, dernière représentation du festival, le mistral s'était levé, soufflant sur les décors, nappes blanches du banquet et immense rideau se soulevant, telle une puissance magique venant souligner la force d'Hamlet.
Seuls
Wajdi Mouawad

Assurément le coup de coeur du festival. Seuls, de Wajdi Mouawad, auteur québecois d'origine libanaise (reconnu et par ailleurs invité de la prochaine édition du festival d'Avignon) est littéralement une fresque sur la vie et la folie, absolument renversante, telle une caresse dont la violence serait celle d'une gifle. Je ne trouve que cette image pour qualifier ce revirement incroyable lors de la dernière demie-heure de la pièce, bouleversement sous-entendu tout au long mais totalement inattendu et formidable. En effet, Seuls suit une gradation dans l'intrigue et la mise en scène : progressivement viennent s'ajouter des effets vidéos du personnage, tels des fantômes hantant le comédien, mais en réalité symbolisant le coup de théâtre final. Seuls, propre au titre, met en scène Wadji Mouawad, dans un rôle inspiré de sa vie, où, jeune étudiant à Montréal, il prépare une thèse sur l'oeuvre de Robert Lepage (grand dramaturge, notamment de La face cachée de la Lune). La pièce reste essentiellement un huis-clos dans la chambre du personnage, où il travaille, s'entretient avec son professeur ou reçoit des nouvelles de son père et de sa soeur. Autobiographie (des conversations téléphoniques de sa famille sont utilisées) fictive et surréelle où est amenée petit à petit un final époustouflant, ancré dans le fantastique, le rêve, résultant du coma. Une première partie traite des relations humaines, des petits tracas de la vie quotidienne, subtilement décrits, d'où va émerger la singularité d'un univers a priori banal, mais beaucoup plus complexe. Le coma est le thème cher à Mouawad, celui d'une solitude décrochée de la vie quotidienne, paralysée sur un lit d'hôpital d'un côté, immortalisée d'un autre côté, tandis que résonnent les échos de ceux qui lui parlent devant son lit. Devant ce spectacle magnifique, nous restons ébahis, subjugués, seuls.
Bash, latterday plays
D'après Neil Labute
Mise en scène et adaptation de René Georges

Trois histoires sur l'Amérique derrière le rêve américain, trois monologues, presque sans présence de mise en scène, d'une intensité noire et émotive, démantelant les clichés d'une vie sociale réussie. Bash (cogner, frapper en argot) laisse entrevoir par son titre la violence qu'il procure par ces récits, auxquels ils faut s'accrocher pour ne pas sombrer dans la dépression. Le premier, grâce au comédien, sidérant, est une confession intime, sans action, juste les aveux, longs et difficiles, d'un employé de bureau ambitieux, vous transperçant les yeux, le coeur, et invitant le public au malaise. Rien que cette première scène, d'environ vingt minutes, suffit pour vous abattre : faible éclairage, angoisse du personnage, manie de manipuler son verre d'eau ; tout en vous captivant par sa force et sa cruauté. Ce qui pourrait être reproché à Bash, c'est la mise bout à bout des trois histoires, radicalement différents mais toutes aussi noires, fatiguant le spectateur. Certes, la deuxième scène commence sur fond de danse disco, animée par un jeune couple propre et parfait. Strass, shopping, virées à plusieurs dans les bars et boutiques de Los Angeles, chic et religion rythment leur voyage de fiançailles, où va s'immiscer les thèmes sombres que le couple s'évertue à repousser, malgré leur fascination. Derrière le rêve teinté sonne le glas des désirs et des pulsions. Quant à la dernière histoire, la comédienne teinte de mélancolie et de fragilité la discrète histoire d'amour entre une élève et son professeur, mettant de côté le "qu'en dira-t-on", ne tombant jamais dans le mélodrame, telle cette poigne qui nous étreint avec violence et émotion.
Larguez les amours !
Elsa Gelly chante Vincent Roca

Le dernier jour passé à Avignon se caractérisait par l'atmosphère étouffante qui y régnait, sous un soleil aggressif et des rues bondées, accentuant une mauvaise humeur que le trio d'Elsa Gelly allégea. La jeune chanteuse, en robe estivale àpois blancs, vous remet le sourire avec les jeux de mots pétillants écrits par Vincent Roca, et accompagnés par David Richard (accordéonniste) et Pierre-Marie Braye-Weppe (violoniste et guitariste). Le trio fonctionne sur l'énergie qu'il procure et les multiples expériences musicales qu'il amène : vocalises de la voix, ondulations des cordes du violon, briquet utilisé pour le rythme, onomatopées sonores... Le tout avec complicité, fraîcheur et une ironie subtile en faveur des jeux de mots de Vincent Roca (multiples et compliqués). Les chansons d'humour, témoignant d'un engagement imparable sont interprétées avec autant d'hargne que d'énergie, tandis que d'autres, plus sensibles, témoignent d'une force et d'une complicité avec le public sincères.
Gérard Morel et toute sa clique

Dernière soirée finie dans la bonne humeur avec Gérard Morel, silhouette bedonnante au sourire étalé sur son corps, génie des mots et des calembours. Gérard Morel était accompagné sur scène d'une fanfare brillante (tel le chrome des instruments), composée de trois femmes et trois hommes, tous aussi excellents et complices les uns que les autres. Le chanteur, ironique et souriant, ne perd pas un instant pour les présenter. Ses jeux de mots inattendus, chutes dramatiques et humoristiques des petites chansons, sont mis en valeur par la vitalité de tel ou tel instrument, permettant un double effet comique. La clique apporte un autre souffle que celui de la guitare habituelle (utilisée généralement par Morel seul sur scène), beaucoup plus énergique et pas moins appréciable. De plus, les chansons de Gérard Morel respirent "la bonne bouffe et les belles femmes", permettant d'aérer notre esprit sans nous abrutir.